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Les violonistes incapables de reconnaître un stradivarius

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Par Cyrille VanlerbergheMis à jour le 06/01/2012 à 22:06 Publié le 06/01/2012 à 19:48

 Le violoniste Yehudi Menuhin, ici en 1970, posant avec ses stradivarius : le Soil(dans sa main droite) et le Khevenhüller .


À l'aveugle, des musiciens sont incapables de distinguer les violons anciens d'instruments actuels.


Depuis des décennies, musiciens et scientifiques tentent de découvrir le «secret» des stradivarius. Pourquoi ces violons sont-ils toujours aussi magiques, trois cents ans après leur fabrication? Tout a été étudié: géométrie des instruments, techniques d'assemblage, nature du bois, composition des vernis et même effets climatiques du petit âge de glace sur la croissance des arbres. Mais le mystère reste entier.

Grâce à une étude menée par Claudia Fritz, spécialiste en acoustique à l'université de Paris-VI, il semble que le secret des stradivarius se cacherait… dans la tête des musiciens qui les jouent! «On s'est beaucoup penché sur les violons, mais jamais sur la perception de ceux qui en jouent», explique la jeune chercheuse du CNRS, qui a commencé ses travaux sur l'acoustique des violons lors d'un séjour à l'université de Cambridge.


Un panel de musiciens compétents


Avec l'aide de Joseph Curtin, luthier américain renommé, Claudia Fritz a voulu vérifier si des violonistes de haut niveau seraient capables de faire la différence entre trois vieux violons italiens et trois instruments de très bonne qualité réalisés par des luthiers d'aujourd'hui. Ils ont profité de la compétition internationale de violon qui s'est tenue en septembre 2010 à Indianapolis pour réunir un panel de musiciens de qualité et trois instruments d'exception dont la valeur totale est de 10 millions de dollars.

Le nom exact des instruments testés a été gardé secret «pour ne pas affecter la valeur marchande des instruments anciens», précise Claudia Fritz. On sait seulement qu'il y avait deux violons d'Antonio Stradivari, l'un datant environ de 1700 et l'autre de 1715, ainsi qu'un instrument fabriqué vers 1740 par Guarneri del Gesu, autre luthier mythique de l'école de Crémone. Le plus vieux stradivarius a été l'instrument principal d'un violoniste renommé du XXe siècle et le deuxième date de l'«âge d'or» du grand luthier italien.


Une goutte de parfum


Les trois violons modernes, âgés de «quelques semaines à quelques années», ont été choisis par Joseph Curtin et leur valeur totale est 100 fois moindre que celles des trois anciens. Les auteurs de l'étude, publiée début janvier dans les Comptes rendus de l'académie américaine des sciences, ont fait essayer à l'aveugle ces six instruments à 21 musiciens de haut niveau. Parmi les «cobayes», certains sont violonistes dans l'Orchestre symphonique d'Indianapolis, quatre autres sont des jeunes prodiges en lice pour le concours (deux en sont sortis lauréats), avec pour finir deux membres du jury qui possèdent l'un un stradivarius et l'autre un Guarneri.

Les tests ont été réalisés dans une chambre d'hôtel, dont l'«acoustique sèche» est proche des salles où les musiciens font leurs premiers tests chez un luthier, explique la chercheuse française. La lumière était éteinte, les musiciens portaient des lunettes de soudeurs et une goutte de parfum a été versée sur le coussin de chaque violon pour éviter qu'ils ne soient identifiés à l'odeur. On a ensuite demandé aux musiciens de tester les instruments et de noter leurs caractéristiques: la projection du son (capacité d'être entendu même à grande distance), la réponse aux impulsions, la jouabilité et la palette sonore.


La perception de plaisir proportionnelle au prix affiché


Dans ces conditions, le violon préféré est un instrument récent, et le moins apprécié est le plus vieux stradivarius. Dans la plupart des cas, les violonistes ont été incapables de dire lequel des instruments testés était l'ancien. «Ces résultats ne nous ont pas du tout surpris», affirme Claudia Fritz.

Comme début d'explication, la scientifique cite une expérience récente réalisée lors de test de vin à l'aveugle, dans laquelle on a remarqué que «la perception de plaisir» mesuré par IRM était directement proportionnelle au prix affiché du vin, un prix pourtant fantaisiste.